Alain Viet nous parle du céilí

Comment t’es-tu mis à la danse irlandaise ?

J’ai commencé par faire de la danse bretonne. Mais je préfère la musique irlandaise à la musique bretonne, à cause la musicalité. La musique bretonne n’est principalement que de la musique à danser, ce n’est pas de la musique à concerts. Et au bout d’un moment, c’est très répétitif. Si tu ne danse pas, ça devient vite lassant. La musique irlandaise, même si ça se répète quelque fois, les airs sont plus variés et mélangés, et tu n’as pas l’impression d’entendre toujours la même chose. C’est ça qui est intéressant.


Pourquoi t’es-tu mis à la danse ?

À cause d’un copain breton qui est venu travailler sur Paris, et qui s’est retrouvé embauché dans la même boîte que moi. Comme on était deux bretons, on a pas mal sympathisé. Un jour, il est revenu, et il m’a dit : Tiens, il y a un fest-noz à côté de chez toi, je t’emmène. C’était pas prévu du tout. Je lui ai demandé : c’est quoi un fest-noz ? Il m’a dit : c’est un bal breton. Ça m’a plu, les gens que j’ai rencontré également.

Je suis breton d’origine, mais j’ai toujours habité Paris et je n’ai jamais vécu en Bretagne. Je n’ai aucun danseur dans ma famille, encore moins un danseur breton ou irlandais. Mais je m’y suis mis. J’ai rejoint le groupe de danse bretonne en janvier. En septembre, je secondais la prof et je faisais les spectacles. Je ne sais pas d’où ça vient – je n’avais jamais dansé avant, ni quoi que ce soit – mais j’étais plutôt bon.

Pour l’irlandais, ça a été la même chose. Je m’y suis mis, et en trois mois c’était bon. J’ai fait pleins de stages, en Irlande et à travers l’Europe. Quand j’ai commencé, c’était les débuts de Ryanair. Depuis Beauvais, j’avais des billets à neuf francs, voire même moins. Donc j’allais presque tous les week-ends en Irlande. Les copains irlandais me disaient que je devais travailler en Irlande, pas en France. J’ai progressé très vite.


Tu parlais tout à l’heure de la musique à danser et de la musique à concerts. Pourtant la musique irlandaise est de la musique à danser, même si elle est jouée en concert.

Tout à fait. Mais les groupes qui font de la musique à danser pour les Céilís ne font pas de la musique à concerts. Il y a des différences.

La musique à danser à deux contraintes : il faut que la musique soit absolument régulière du début à la fin, et puis que ce soit le pas que l’on demande. Si les danseurs veulent une suite de jigs, il faut que ce soit une suite de jigs du début à la fin. Tu ne peux pas glisser une slip jig au milieu, contrairement à un concert, où on peut le faire. De plus, pour la musique à danser, il faut également que les morceaux aient un nombre de mesures égal à la durée de la figure.


Comment se passe une danse ?

La danse est codifiée. Le set est une danse de quadrille, c’est à dire une danse à quatre couples, avec une évolution entre les couples. Il peut y avoir un ou deux couples qui dansent – par exemple, les deux couples opposés – ou les quatre en même temps. Les couples se déplacent dans l’espace sur un temps donné. Un déplacement se fait sur huit mesures, ou un multiple de huit, et les déplacements s’enchaînent les uns derrière les autres, et sont regroupés en figure, comme le body, le house ou le home. Les sets comportent plusieurs figures, qui durent elles-mêmes environ trois/quatre minutes. Un set – une danse complète – dure une vingtaine de minutes.

Pour connaître une danse, il faut donc mémoriser les figures, ou avoir des fiches qui donnent les enchaînements des figures.

Lorsque la musique démarre, il n’y a pas d’introduction : on laisse passer les 8 premières mesures pour que tout le monde se cale, puis la danse commence. En principe, on fait une figure, les musiciens s’arrêtent, puis on fait une deuxième figure et ainsi de suite. Il y a une pause entre chaque figure, car c’est quand même fatiguant. Il faut que les danseurs puissent respirer, et vérifier les pas pour la danse suivante : il y a plus de 300 sets, donc on ne peut pas tout connaître par cœur.

Par exemple, pour le plain set, il y a 4 figures de reels, une figure de jig et une figure de reel. Certains Céilí bands, comme Emerald Céilí band, ont des arrangements pour passer du reel à la jig, et de la jig au reel. Le plain set est alors joué en continu, sans pauses entre les figures. Il faut alors être très forme, car on danse pendant vingt minutes sans s’arrêter. Mais c’est assez exceptionnel.

Les figures n’ont pas nécessairement la même durée que les morceaux. Ça embête d’ailleurs beaucoup les musiciens. Pour éviter que les danseurs finissent leur figure sans musique, il faut toujours indiquer le nombre de mesures nécessaires pour une figure, ou faire signe aux musiciens pour qu’ils s’arrêtent au bon moment.

Certains groupes sont spécialisés dans les Céilí band. Dans ce cas, ils construisent leur suite pour qu’il y ait pile poil le bon nombre de mesures pour chaque figure. Chaque figure a alors sa musique. Ce type d’enregistrement ne se trouve pas en France : il faut aller en Irlande pour le trouver, voire le demander directement au groupe qui le produit.


Y a-t-il beaucoup de set en France ?

Ce n’est pas très connu, mais c’est répandu. Il y a pas mal d’associations en Bretagne, qui se retrouvent tous les ans au mois de mai. On peut aussi en trouver à Lille. Sinon, on en trouve dans toute l’Europe : en Belgique, en Suisse, en Allemagne, en Italie. On en trouve également aux Etats-Unis, en Australie, en Nouvelle Zélande, et même au Japon.


Y a -t-il des rencontres internationales ?

Non, pas forcément. On trouve un peu de set irlandais au festival interceltique, couplé avec autre chose. Là où on peut rencontrer beaucoup d’étrangers, surtout des américains, c’est l’été, pendant les Summer School. Ça commence début juillet, à Miltown Malbay, puis ça passe d’une ville à l’autre chaque semaine.

Il y a quelque temps, il y avait également un Céilí sur un week-end complet début janvier, à Malahide, dans la banlieue de Dublin. C’était proche de l’aéroport, et là aussi il y avait beaucoup d’étranger : des Luxembourgeois, des Allemands, des Suisses, qui venaient, parce que c’était pratique. Tu arrivais en avion à Dublin, puis tu prenais un bus et tu étais arrivé. Il n’y avait pas de voiture à louer, ce qui était plus simple car à l’époque, il n’y avait pas d’autoroute en Irlande. Il y avait alors deux Céilí sur deux étages, avec un groupe de musiciens par étage, qui jouaient les mêmes suites. Il pouvait y avoir 800 personnes

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En Irlande, les Céilí marchent bien. Ça se passe très souvent dans des grands hôtels. Chaque hôtel a une grande salle de réception, avec du parquet qui occupe les trois quarts de l’espace, et une estrade sur le reste. Et ça permet de faire danser tout le monde. On ne connaît pas ça en France. Quand on va en Irlande et que l’on est face à ça, la première fois ça surprend.


Et les gens connaissent les danses ?

Il y a 20 ans, les sets étaient encore callés : il y avait un caller qui annonçait ce qu’il fallait faire. Mais ça gênait un peu les musiciens que quelqu’un parle sur leur musique. Maintenant, comme il y a des sets qui reviennent régulièrement, c’est de moins en moins callé. Sauf en Irlande du Nord, où ils continuent à caller. Mais là-bas, c’est tout le temps le même qui call, il a un accent pourri et personne ne comprend rien.

Quand on va à un week-end, les sets qui sont callés sont ceux qui ont été appris dans le workshop, ou ceux qui sont compliqués. Les sets classiques ne sont pas callés. Du coup tout le monde a des petites fiches, des anti-sèches. Chacun a ses notations, car il ne faut pas que ça prenne trop de place.


Qu’attends-tu des musiciens ?

Pas grand-chose. Qu’ils jouent bien. Qu’il y ait une bonne musique. Qu’ils aient un rythme correct. Je me suis toujours très bien entendu avec les musiciens. Je ne leur ai pas encore trouvé de défauts. Il faut que j’aie la musique et le rythme dans l’oreille, pour annoncer ce qu’il faut danser, et jusqu’à présent, je n’ai pas eu de problème à suivre les rythmes des groupes avec lesquels j’ai travaillé.

C’est plus les musiciens qui ont une contrainte sur le rythme qu’ils doivent suivre : pas trop lent, pas trop rapide, et régulier du début à la fin.


Pour le rythme, un bodhran doit aider…

C’est vrai qu’une fois, JB nous a sauvé : c’était lors d’un spectacle, tous les musiciens s’étaient arrêtés, et les danseurs n’avaient pas fini la figure. Du coup on a fini la figure au bodhran. Et ce n’est pas facile quand il n’y a que le bodhran.

Il ne faut pas non plus demander trop de polkas aux musiciens. Pour les danseurs débutants, si on veut sortir des danses de Céilí classiques, les pas les plus simples et les plus connus sont des pas de polka. Le pas de polka est commun à pleins de pays : c’est le même rythme et le même pas, que l’on soit en Irlande, en Bretagne ou en Russie. Tandis que le pas de reel, c’est un pas spécifiquement irlandais, qui n’est pas naturel : il faut donner une impulsion vers le haut, contrairement à la polka, où c’est de la marche un peu rythmée. C’est plus facile d’accès. Pour les musiciens aussi, les sets de polka sont des sets simples. Tu en fait un, c’est amusant. Mais il ne faut pas en faire trop, car ça devient répétitif.


Quelles sont les spécificités de la danse irlandaise ?

C’est une danse de quadrille, dont chaque région a ses particularités. Dans le Clare, il y a beaucoup de noms de danse qui contiennent le mot « lancers », qui sont tirées du quadrille des lanciers, dansé à la cour de France. Le principe du quadrille des lanciers est de former des lignes à partir d’un carré ou d’un cercle. Ça peut être une ligne de garçons face à une ligne de filles, ou une alternance de filles et de garçons, ou autre chose. Certaines figures sont très inventives.

Ce type de quadrille peut se danser sur des reels, des jigs, des polkas et des hornpipes. Dans le Kerry, il y a surtout des sets de polka. Souvent la dernière figure est faite sur un hornpipe, avec un rythme beaucoup plus lent. Il s’agit très souvent d’une figure communautaire, très simple, où les filles dansent avec les quatre garçons. Ça tourne, et l’objectif est de trouver un autre cavalier ou une autre cavalière pour la danse suivante : si tu danses deux fois de suite avec le même cavalier et ou la même cavalière, ça va commencer à jaser.


Le Céilí est donc une danse sociable…

En effet. Pour le Céilí du dimanche après-midi, les gens arrivent souvent en famille, sur trois ou quatre générations : les arrières petits-enfants, les petits-enfants, les enfants et les parents. Et tout le monde danse. Pas forcément tout le Céilí, mais tout le monde participe : les personnes âgées comme les enfants. Ça fait partie des activités extra-scolaires, comme le judo en France.

Souvent, les français font la remarque qu’en Irlande, il y a des enfants dans les pubs. Mais là-bas, les pubs, c’est comme les MJC en France. Les irlandais y viennent en famille. Les parents viennent boire une bière, mais pas uniquement : ils viennent également pour discuter, parler politique. Et ils ne vont pas laisser les gamins à la maison. Donc les gamins viennent. Ils sont immergés dans la musique.


Et en bonus, quelques groupes :

Groupes de Céilí :

Abbey Céilí band : ils sont deux (violon et accordéon), avec une boite à rythme et un swing d’enfer.
Glenside Céilí band : avec eux, il faut avoir envie de danser. Normalement, entre chaque figure, il y a environ une minute de pause. Avec eux, c’était 5-6 secondes, ça repartait direct.

Musique à écouter :

Cherish the Ladies. Elles sont venues deux fois en France. Une première fois à Brest, pendant la fête maritime Brest 96. Elles y ont fait trois concerts. Lors du premier, dans l’après-midi, on devait être 15. Au dernier concert, sous la pluie, il y avait 800 personnes. Elles sont repassées trois ou quatre ans après, au festival interceltique de Lorient, pour un concert. Personnes ne les connaissait, et le concert était programmé en même temps que Gilles Servat. Pourtant, le lendemain, les journaux titraient : « Les Ladies ont mis le feu à Lorient ». C’était génial.

Également les Chieftains, Bothy Band, Lunasa… c’est très classique ce que j’écoute.

Entretien réalisé par Marie de Rochambeau en novembre 2019