Entretien avec Jean-Bernard Mondoloni

Comment as-tu découvert le trad irlandais ?

J’avais des amis qui écoutaient du folk-rock, avec beaucoup d’influence irlandaise. C’était une porte ouverte sur la musique trad. À l’époque, contrairement à maintenant, il y avait peu d’instruments acoustiques dans les groupes de rock, donc ça donnait une impression d’originalité.

Et pourquoi le bodhran ?

C’est un peu un hasard. J’avais fait un peu de guitare avant. Un ami m’en avait prêté un quand j’avais montré de l’intérêt pour cette musique-là. Ça m’avait plu et j’avais réussi à en sortir quelque chose. J’ai appris seul. C’était avant internet, donc au début, je me suis débrouillé avec une méthode photocopiée, puis j’ai appris en écoutant des disques et m’exerçant ensuite dans des sessions.

Tu trouvais facilement des sessions à l’époque ?

Quand j’ai commencé la musique irlandaise, il y avait peu de sessions à Paris. Elles se sont multipliées quelques années plus tard. Il y avait une session par jour de la semaine à Paris à la fin des années 90, et la plupart du temps dans des lieux différents, avec des gens attachés à telle ou telle session. Si un soir, on avait envie de jouer, il y avait une session où on pouvait le faire. Il y avait des habitués à chaque session, mais on pouvait aller de l’une à l’autre sans vraiment de problème.

Je suis également allé dans des festivals, en France ou à l’étranger. J’y ai rencontré pas mal de Bretons. Je suis aussi allé en Irlande plusieurs fois, et j’ai joué en Bretagne, dans des groupes et dans des sessions. Il y avait beaucoup de musique irlandaise à l’époque.

À part les sessions et les festivals, dans quel environnement pratiques-tu le bodhran ? As-tu essayé d’autres styles de musique ?

J’ai beaucoup utilisé le bodhran dans d’autres musiques. J’ai fait de la chanson française, de la musique pour le cirque, le théâtre, de la comédie musicale. Quelque fois, avec un fond celtique, mais d’autres fois, pas du tout. Les gens trouvent l’instrument intéressant. Par exemple, pour la chanson française, beaucoup de groupes cherchaient des percussions très acoustiques, et différentes du cajón [NDLR : après demande d’explication à JB : boîte à percussion sur laquelle on s’assoit et qui est utilisé pour le flamenco, entre autres. Moi j’appelais ça : boîte-à-percussion-sur-laquelle-on-s’assoit. Maintenant, je saurai. Merci JB !]. Ça m’a permis de faire pas mal de choses différentes.

Mais, je n’ai jamais arrêté la musique irlandaise, j’ai toujours eu un ou deux projets de musique irlandaise minimum. J’ai continué à faire des sessions en fonction de mes disponibilités. Depuis quelques années, je fais surtout des sessions au piano, que ce soit à l’association irlandaise, ou dans des bars avec un piano : quand il y a un piano dans le bar, ça me motive pour aller faire la session !

Actuellement je fais surtout du concert, du festival. Je me considère vraiment comme un accompagnateur, même si je mets mon grain de sel créatif dans certains projets. Il faut que je ramène quelque chose sur une base déjà créée. C’est un peu l’esprit du bodhran. La musique irlandaise est déjà rythmée dans sa mélodie et n’a pas besoin d’assise rythmique forcement, c’est un plus qui doit amener sa saveur.

Qu’est-ce que tu aimes dans la pratique de la musique irlandaise ?

J’aime beaucoup l’aspect session. Ce ne sont pas juste des grilles entrecoupées de solos. C’est comme un bœuf mais avec des thèmes et un répertoire commun tout du long, qui permet de jouer avec des gens d’un peu partout. Même un morceau qui a été joué bien des fois peut avoir une nouvelle saveur en fonction de la session où on est. Je trouve ça vraiment bien. Ça favorise beaucoup les rencontres.

Comment fonctionne le bodhran ?

Le bodhran est un instrument percussif, où on peut modifier la tension de la peau. Quelque fois, des gens me font la remarque que ce que l’on joue avec le bodhran ressemble à une ligne de basse. Evidemment, on ne joue pas les notes justes, mais on peut adapter les hauteurs de son à ce qu’il se passe harmoniquement dans le morceau. On peut par exemple changer de son au moment où il y a un changement d’harmonie.

Si ce ne sont pas les notes justes, ce sont quand même des notes de l’accord ?

Ça arrive rarement qu’il y ait des gens qui remarquent qu’un bodhran produit une note précise. La tension de l’instrument sert surtout à régler la rigidité de la peau, et pas la note qu’on obtient. Donc on n’est pas sur une note juste. Après, peut-être que en changeant la tension de la peau en jouant, on essaie de se rapprocher de la note qu’on entend. Mais on ne va pas dire que c’est un instrument qui fait des notes voulues. C’est encore plus le cas maintenant, car le bodhran a évolué. Le bodhran actuel est plus percussif encore. Au sens où il joue le rôle de la grosse caisse et la caisse claire de la batterie souvent. Avant, les variations de son permettaient d’accompagner la mélodie au sens propre du. Dans le style actuel, ça existe toujours, mais il y a beaucoup de variations de sons qui sont faites pour simuler une autre percussion (batterie par exemple donc), ceci au niveau des rythmes balancés.

Le bodhran, c’est bien un instrument irlandais ?

C’est une percussion sur cadre, qui a donc beaucoup de cousins dans le monde : chez les amérindiens, les Inuits, par exemple. Rien qu’en France, avec la communauté maghrébine, on voit beaucoup de bendirs. Ce qui est assez particulier, c’est la façon de le jouer. Il y a des percussions sur cadre qui se jouent avec une main et un maillet, mais souvent avec une attaque horizontale ou oblique. Tandis que le bodhran se joue avec un jeu vertical en présentant le dos de la main. À l’origine, cela se joue uniquement à la main, d’ailleurs. Le tambourin, joué par exemple dans le sud de l’Europe, en Italie notamment, s’en rapprochait pas mal, avec des aller-retour bas haut. Mais le stick, et la variation de peau à l’arrière, que l’on retrouve moins au tambourin, est typique du bodhran.

Le bodhran aurait donc des racines du sud de l’Europe. Quand est-il arrivé en Irlande ?

J’ai entendu deux belles histoires sur l’origine du bodhran. La première est une histoire un peu agraire. Dans les fermes, on trouve un outil similaire au bodhran, qui permet de séparer le grain de son enveloppe. Le soir, quand il y avait de la musique, les gens attrapaient cet outil et tapaient dessus. L’autre version est un peu plus romantique. On a retrouvé plus de traces de bodhran à l’ouest de l’Irlande. Comme il y avait des échanges entre l’Irlande et l’Espagne, on se demande si les percussions arabo-andalouse ne seraient pas remontées par là. Je crois moins à cette théorie, et puis, si ça se trouve, l’autre est fausse aussi. En gros, on ne sait pas exactement comment c’est apparu.

Le bodhran a-t-il toujours été utilisé en accompagnement ?

L’accompagnement est quelque chose d’assez récent en musique irlandaise. Le bodhran est un vieil instrument, qui a été ressuscité dans les années 50. L’instrument est ancien, mais la musique irlandaise s’est beaucoup codifiée dans les années 60/70. Il y a longtemps, les gens dansaient avec un musicien seul, qui faisait de la musique déjà rythmée. On a rajouté de la rythmique harmonique, de la rythmique percussive, bien plus récemment. Souvent, je dis à mes élèves qu’ils trouveront l’approche de mes cours particulière, parce qu’on écoute beaucoup, on s’adapte à ce qu’il se passe, plus que d’apprendre des rythmes seuls. Mais, à mon avis, c’est comme cela que l’instrument est joué de façon traditionnelle.

Ça peut arriver quelque fois que le bodhran soit joué seul, pour accompagner une danse par exemple ?

Oui, mais c’est assez rare. Plutôt dans des intros. Il y a aussi beaucoup de solos de bodhran pour du show-off, des démonstrations. Mais si on s’en tient à un niveau musical, ça reste un accompagnement, un instrument qui se rajoute. Du coup, j’ai souvent utilisé le bodhran comme ça. Je me suis souvent rajouté à d’autres musiques, même du jazz, mais toujours dans cet aspect acoustique. Après, je ne suis pas du tout un spécialiste de toutes ces musiques-là. Mais par contre, j’ai amené la spécificité de l’instrument, en essayant d’avoir l’approche que je trouve traditionnelle, c’est-à-dire de s’adapter à ce qui est en train d’être joué, au style du mélodiste.

Il y a de l’impro en Irlandais ?

Il y a des variations. Les mélodistes sont assez prisonniers : ils peuvent s’exprimer par leur style, personnel ou un style qu’ils ont copié de quelqu’un d’autre. Ils peuvent également sortir de la mélodie en faisant des variations, mais ça reste proche de celle-ci. Par contre, un accompagnateur a une très grande liberté, car il n’y a pas une grille d’accord absolument définie. On peut aussi faire plusieurs choses au niveau rythmique, ce qui fait qu’il y a autant de styles d’accompagnement que d’accompagnateurs.

Mais quand tu accompagnes, tu es quand même obligé de donner l’impulsion au mélodiste. Donc, tu ne peux pas faire n’importe quoi …

Bien-sûr, tu ne peux pas faire n’importe quoi, mais il y a plein de façons de faire néanmoins. Dans mes cours, quand on travaille un morceau, on écoute beaucoup de versions différentes. Il y a pleins de manière de jouer un morceau même sans accompagnement, et pas que au niveau tempo. Le choix de l’accompagnement va rajouter des couleurs au morceau et le rendre différent, tout en s’adaptant au style du mélodiste.

Quand tu accompagnes deux mélodistes différents, est-ce-que tu adaptes ton accompagnement ? Et est-ce que tu enseignes à tes élèves à le faire ?

Oui, je veux qu’ils soient à l’écoute. Dans mes cours, on écoute beaucoup donc. J’essaie également de leur faire trouver des variations. Ce n’est pas évident, c’est même assez déroutant. Mes cours ne sont pas des cours de rythmiques, il n’y a pas beaucoup de famille de rythmes en musique irlandaise. Par contre, il y ait plein de choses à faire dans chaque famille. On essaie d’écouter et de s’adapter à ce qu’il se passe. Donc, je n’accompagne pas de la même manière deux mélodistes différents : cela dépend de comment ils jouent.

Finalement, quels conseils pourrais-tu donner à tes élèves ?

Quelques conseils de bases : bien occuper le spectre bas de l’acoustique, car la musique irlandaise est plus dans le medium et l’aigu. Nous, on a la chance de pouvoir descendre très bas. Je leur conseille également de ne pas jouer trop fort, et d’être beaucoup à l’écoute, et de ne pas jouer tout le temps. Le principal problème du bodhran, comme tout instrument de construction simple, ou d’abord facile, c’est qu’on tourne très vite en rond. Quand on fait du violon, on voit facilement les choses qu’on pourrait faire avec plus d’expérience. Alors que quand on a un bodhran, on tombe souvent sur la même chose. Écouter des gens jouer, ça peut donner des idées.

Et est-ce que tu pourrais donner un conseil aux mélodistes pour aider tes élèves à s’inscrire dans la musique ?

Un conseil tout bête : si l’on fait tourner les morceaux un peu plus de fois, ça aide pas mal les accompagnateurs. Par exemple, les faire tourner cinq fois plutôt que trois. Les accompagnateurs ont alors plus de temps pour s’approprier le morceau. Ensuite, comme notre objectif c’est de se greffer sur une musique qui existe déjà, il faut que le mélodiste soit directif, au sens où il assume son choix de style, tempo….

Il y a quelque chose qui est très important pour l’accompagnement, c’est qu’on peut accompagner un morceau qu’on n’a jamais entendu. La première fois qu’il va tourner, on va être très hésitant, puis au bout de la deuxième fois ou troisième fois, on sera plus à l’aise.

Pour les accompagnateurs, comme c’est souvent les mêmes schémas, ils vont pouvoir l’accompagner à peu près la première fois s’il n’y a pas de piège, et un peu mieux les fois d’après.

Pour les mélodistes, ça demande plus de pratique : c’est compliqué d’apprendre une mélodie au début, ça prend du temps. Puis au bout de quelque temps, quand le style a été intégré, ils sont capables de suivre une mélodie jouée en session et qu’ils ont déjà entendue.

Entretien réalisé par Marie de Rochambeau en janvier 2019